Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
1 février 2014 6 01 /02 /février /2014 19:21

(Cet article n'engage que moi, que mon ressenti, mes bribes de
conversation et mon histoire. Que ma perception de notre communauté au
regard de notre histoire et du monde qui nous entoure).

Je me suis penchée sur la question sans être prise de vertiges en
restant au rez-de-chaussée de ma pensée. En gardant une vision terre à
terre pour ne pas perdre l'équilibre.
Etre, devoir, exister, un exercice d'opposition qui ne se table pas en
une dissertation de quelques heures mais en une réflexion perpétuelle.
Peu nombreux mais visibles, dit-on des juifs, comme une tâche d'huile
fâcheuse sur un drapeau ou une fontaine dans un désert, chacun son
tableau mais quoiqu'il en soit la lumière est aussi bien une source de
vie qu'une gêne visuelle douloureuse.

Etre Juif, c'est être une source infinie d'interrogations, de
préjugés, de fantasmes, d'histoires à raconter, d'événements à
justifier, de réactions à expliquer. Ce n'est pas seulement pratiquer
un culte de façon individuelle c'est aussi une carte d'identité à
délivrer aux yeux des autres et aux yeux de sa propre communauté, une
carte de porte-parole improvisé à afficher au tournant de débats dont
le juif est bien souvent le seul représentant, c'est porter la carte
de la conscience collective d'être, de vivre et de perpétuer le
judaïsme.
 C'est porter l'image décriée, admirée, source d'intrigue et de rejet,
parfois dure à assumer. C'est aussi un devoir de responsabilité, aussi
bien la responsabilité de se connaître soi-même en tant que juif mais
aussi la responsabilité de porter, de façon choisie ou subie, les
choix politiques passés et futurs, les choix des institutions juives
représentatives ou pas, les actes passés nous taillant l'habit du
criminel dès les premières pages de l'humanité, les actes passés nous
posant en statut d'exterminé, d'exilé, de réfugié, de colonisateur, de
perturbateur, de dominateur, autant de statuts schizophrènes, autant
de statuts réels et imaginaires, qu'un seul être humain ne serait
capable de supporter sans prise de recul et connaissance de l'histoire
de son peuple. Ce n'est pas seulement croire en Dieu, cultiver des
traditions, transmettre des valeurs, c'est porter le miroir de sa
communauté, c'est vivre continuellement dans le jugement, dans les
mots figés dans le temps, dans le regard des autres, dans les médias,
et dans la définition donnée de ce que nous sommes qu'il faut sans
cesse challenger.
C'est non seulement vivre au travers d'une nation mais aussi au
travers d'une diaspora qui lie les juifs de tous horizons
inéluctablement. Une insulte, une humiliation, un acte de torture
subis par un juif d'aujourd'hui, d'hier, d'ici ou d'ailleurs, font
forcément écho dans le coeur de l'ensemble des juifs du monde.

Etre juif, c'est aussi la quête perpétuelle d'une liberté dont on a
souvent été privée. C'est la liberté de revenir en terre d'Israël,
un rêve encore éveillé, au risque de s'emprisonner dans la souffrance,
la liberté de culte d'où le choix des professions libérales et des
métiers d'entrepreneur, la liberté de dépendre aussi souvent que
possible de soi-même avec la fameux adage "aide-toi et Dieu t'aidera",
la liberté d'être défendu et entendu avec des institutions
représentatives, organisées et influentes, telles des syndicats en
barbe longue, au risque de voir ériger sur l'autel de la Laïcité et de
la République "la liberté des uns s'arrête là où commence celle des
autres".
Faire parti de la diaspora c'est participer aussi à l'éclosion de sa
liberté. Ce mouvement de fuite tels des oiseaux migrateurs a fait de
nous des êtres libres. Il y a la contrainte de fuir les persécutions
telle une épreuve divine mais aussi le choix de partir et de rejoindre
une nation où l'on sait qu'il y a un réel plaisir à être mélangé aux
autres, à s'essaimer, à s'aimer. Quoi de plus libre qu'un être humain errant sans mur, ni toit,
ni barbelés, vivant du métissage culturel de la diaspora, s'assimilant
à des nations libres et démocratiques, à des peuples où l'on encourage
la liberté d'entreprendre, la liberté de posséder, la liberté de
créer, la liberté d'innover, la liberté de penser, de construire, de
remettre en question son propre culte religieux, d'étudier dans des
universités publiques, de vivre son culte en côtoyant celui des autres
et de vivre de sa propre richesse intellectuelle et matérielle. Quoi
de plus libre qu'un être humain intégré aux autres telle une
colocation réussie avec une confiance totale mais pas aveugle, une
intégration non plus posée comme unique condition de survie mais comme
un mode de vie.

 

 

Etre juif c'est aussi avoir conscience que l'on est faible
numériquement (0,5% de la population mondiale) mais fort
dans le coeur en faisant de nos colocataires des amis, des associés du
bonheur et de la paix, quand ces derniers sont prêts à co-exister, à
partager, à vivre ensemble. C'est s'efforcer de pratiquer son culte
dans le respect et la tolérance de l'autre, dans le respect de son
environnement social, économique et politique qui évolue avec le
temps. C'est aussi s'adapter au contexte de son pays et de ses moeurs
tels que la venue de la "Haskala"favorisée par l'influence de la
philosophie des lumières, c'est aussi s'interroger sur son identité
comme c'était le cas à l'époque avec les débuts de sionisme sous
l'influence de la révolution française et le scandale Dreyfus qui
marque selon Théodore Herzl l'échec de l'assimilation des juifs en
France. Antisémitisme et renforcement du sionisme son intimement
liés.

Il n'y a pas un profil de juif mais une multitude de comportements
juifs, de façons de pratiquer la religion (orthodoxe, ultra-orthodoxe,
judaïsme libérale, judaïsme conservateur, judaïsme reconstructionniste
et aussi plusieurs versions historiques de la Bible), une multitude de
traditions, d'héritages culturels (Séfarades et Ashkénazes), d'ethnies
historiques (les juifs d'Inde, les cochins, les juifs de Chine, les
Falashas etc) de langues aussi, propres à chaque pays, même si la
langue de prière reste l'hébreu, de multiples façons de se lever et de
se coucher selon le décalage horaire, de rêver, d'aimer, de partager,
et d'éduquer ses enfants. Une multitude de choses qui nous rendent si
différents mais en même temps si proches avec ce sentiment
d'appartenance au peuple juif qui n'est pas qu'un simple concept
collectif mais de plus en plus une définition religieuse de par notre
passé, de par notre souffrance partagée, avec comme point de départ et
comme point d'arrivée: Israël, du Royaume d'Israël et de Juda à l'Etat
d'Israël. Un sentiment d'appartenance qui s'est renforcé lorsque
toutes les différences, fruit de la richesse de la diaspora, de
l'intégration, ont été gommées par l'idéologie Nazi. Qu'ils soient
religieux, socialistes, sionistes, assimilés, convertis, et quelle que
soit leur nationalité, les Juifs ont alors été considérés comme un
ensemble homogène à exterminer, ce qui a fortement renforcé le
sentiment d'avoir un destin commun. Ainsi la notion de peuple juif est
souvent synonyme dans mon coeur mais aussi dans l'histoire (concept du
19ieme siècle) de "nation juive": même histoire, même culte, même
langue puis arriva même territoire avec la création de l'Etat
d'Israël.

Etre juif, c'est donc avoir plusieurs nationalités, c'est apprendre à
aimer plusieurs nations qui nous représentent: la nation de notre
colocataire, la nation politique, historique et religieuse qui est
Israël, la nation du coeur qui est le peuple juif Etre juif, c'est
être unique et plusieurs à la fois, c'est être individuel et
collectif, c'est être actuel et historique, c'est être moderne et
traditionnel, c'est être laïque et pratiquant. C'est être en accord
avec son peuple et ses traditions tout en étant contre et
continuellement dans la remise en question, c'est aimer et être en
accord avec sa patrie d'accueil tout en étant contre, c'est être
converti à une religion tout en étant sioniste, être converti tout en pratiquant et aimant le judaisme, être juif tout en  étant anti-sioniste, être religieux tout en étant anti-nationaliste, être juif nationaliste tout en étant anti-religieux....


Bref être juif n'a pas de sens, c'est plutôt continuer à être, à
devenir, à vivre, à exister dans un monde changeant, dans une
communauté changeante, dans des préjugés constants et avec une
histoire commune et des histoires personnelles. La peur de ne plus
exister est à la fois rationnelle et irrationnelle comme reproduction
des traumatismes inconscients du passé mais la peur ne doit pas être
le seul rythme cardiaque d'une communauté, la seule source de sueur et
de chaleur d'un groupe car la peur est lâche et solitaire.
Que les juifs soient peuple, religion et nation, la marque-page des
juifs est la Torah mais le contenu du livre c'est chaque juif qui
l'écrit avec ses différences et ses ressemblances, avec son histoire
personnelle et son passé commun et ce dans toutes les langues.

Shirley Almosni

Partager cet article
Repost0

commentaires